Un an après la mort de Mahsa Amini en Iran : «L’année qui vient de s’écouler a changé les esprits» par Shirazi Divan

Introduction

Un an après la mort de la jeune femme, tuée par la police des mœurs, et le début d’une révolte inédite, les Iraniens oscillent entre espoir et résignation dans la lutte contre le régime islamique.

Il y a quelques jours, Tahereh (1) a eu un geste fou. « Ces dernières semaines, la présence constante et renforcée de la police antiémeute aux quatre coins de la ville est devenue vraiment oppressante et angoissante, raconte cette enseignante de 52 ans, mère de deux enfants, qui vit à Téhéran.

Alors un jour, j’ai décidé d’offrir des fleurs à ces officiers, en signe de paix. Ils ont pris ce geste comme une provocation. J’ai passé deux jours en détention. »

A l’approche du 16 septembre, jour du premier anniversaire de la mort, à 22 ans, de Mahsa Jina Amini, tombée sous les coups de la police des mœurs qui lui reprochait un foulard mal ajusté, le régime de la République islamique d’Iran a renforcé la répression. Une nouvelle vague d’arrestations qui lance à la nation un message glacial.

L’objectif des autorités est limpide : instiller la terreur pour que les Iraniens restent chez eux et ainsi étouffer toute protestation. Les manifestations de masse dans tout l’Iran sont, sans aucun doute, le plus formidable défi à la République islamique en quarante ans de règne.

Le scénario se répète, encore et encore

Mehdi Yarrahi est un chanteur pop célèbre .

Depuis le début, il a été un ardent soutien des opposants. Ses deux chansons Soroode Zan (« Hymne à la femme ») et Soroode Zendegi (« Hymne à la vie ») sont devenues des cris de ralliement, murmurés dans les espaces privés et repris en chœur lors de rassemblements publics.

Jusqu’à ces derniers jours, il n’avait pas été inquiété.

Et puis, il a sorti sa dernière chanson Roosarito (« Ton foulard », en farsi), en hommage « aux nobles femmes de ma patrie, qui se sont courageusement tenues au premier plan du mouvement Femme, vie, liberté ».

Les premiers mots sonnaient comme un défi : « Enlève ton foulard, le soleil se couche. N’aie pas peur mon amour, ris face au chagrin. »

Le 28 août au matin, Mehdi Yarrahi a été arrêté. Dans un message poignant posté sur X (anciennement Twitter), juste avant son arrestation, il a imploré : « Soyons la voix d’Izeh et continuons à célébrer l’anniversaire du meurtre de Mahsa Amini. Pour Femme, vie, liberté. »

Izeh, ville du sud iranien, est devenue emblématique de la résistance.

C’est là que se sont concentrées l’an dernier d’innombrables manifestations, parfois mortelles. Récemment encore, deux opposants ont été assassinés et les membres de famille de victimes ont été arrêtées.

Izeh n’est pas un cas isolé. Onze femmes activistes ont été emprisonnées récemment dans la province de Gilan, dans le nord du pays. Le 7 janvier, Mohammad Mehdi Karami, 22 ans, champion d’Iran de karaté, était pendu, accusé d’avoir tué un policier lors d’une manifestation. Ces derniers jours, son père, qui porte le même nom, a partagé sur les réseaux sociaux des photos de repas que lui et sa femme avaient préparé et offert aux nécessiteux, en mémoire de leur fils. Il a été interpellé.

Aujourd’hui, les manifestations de masse semblent éteintes. Derrière les portes, entre deux chuchotements, les jeunes restent pourtant persuadés que la mobilisation peut renaître à n’importe quel moment, qu’il suffit d’une petite étincelle.

La colère est toujours là, exacerbée aussi par une situation économique de plus en plus tendue.

« On ne peut pas revenir à la situation d’avant la disparition de Mahsa. L’année qui vient de s’écouler a changé les esprits, dessiné la vision de ce que pourrait être l’Iran sans la domination de la République islamique », estime Mobina, une jeune tatoueuse qui travaille clandestinement, les tatouages étant interdits.

Sur son avant-bras, elle a inscrit : « Femme, vie, liberté. »

Elle non plus n’est pas sûre que les gens descendront dans la rue pour commémorer Mahsa Amini. Mais « toutes les nuits, je tague les murs dans les rues pour appeler à la révolte.

Le matin, les graffitis sont souvent recouverts par les partisans du régime, mais je persiste et j’y retourne pour recopier le message ».

« Aspiration naïve »

Les mobilisations de masse ont attiré beaucoup d’adolescents. Certains ont perdu la vie, comme les lycéens Nika Shakarami, Abolfazl Adinezadeh, Kumar Daroftade et Sarina Esmailzadeh. Farbod, 17 ans, vit dans une petite ville côtière du sud du pays. Tout en préparant ses examens d’entrée à l’université, il anime une page Instagram avec 40 000 abonnés, qui avait initialement pour objet de motiver les étudiants.

« Mais après le meurtre de Mahsa, je me suis concentré exclusivement sur la mise en lumière des conditions de vie en Iran et la mobilisation de l’opposition au gouvernement, explique-t-il. Ces derniers jours, je n’ai posté qu’à propos des commémorations de la mort de Mahsa, et la réponse immense de mes abonnés suggère que l’envie est encore là et qu’il pourrait se passer quelque chose de significatif le 16 septembre. »

Tous ne partagent pas cet espoir

  • Khosro, 31 ans, programmeur pour une start-up, est plus sceptique. « Je n’anticipe rien d’exceptionnel, nous serons sans doute, une fois de plus, déçus. La République islamique a démontré qu’elle ne reculera devant aucun moyen pour faire taire les voix rebelles », explique-t-il.

  • Mina, médecin de 44 ans, partage le même découragement. Elle a joué un rôle discret mais vital pendant les manifestations à Téhéran et Karaj, la quatrième ville du pays. En secret, elle s’est occupée de soigner les manifestants frappés par les forces de l’ordre, et ils étaient nombreux. « Je doute que la population se mobilise massivement dans les prochains jours. Placer son espoir dans ces mouvements me semble futile. Il est temps d’accepter que le règne de la République islamique va se poursuivre », ajoute-t-elle. Mina a décidé de quitter l’Iran. Pour elle, « un changement réel de régime ou une révolution nécessite un leader. L’idée d’une révolution démocratique sans dirigeant identifié et unique pouvait sembler attirante initialement, mais il est désormais évident qu’il s’agissait d’une aspiration naïve ».

La question de la diaspora

La répression a définitivement étouffé l’émergence d’une opposition robuste à l’intérieur de l’Iran.

Et, à l’extérieur, les multiples courants d’opposition ont suscité des réactions mitigées.

En un an, huit personnalités notables se sont détachées :

  • Reza Pahlavi, le fils du dernier chah d’Iran,

  • Hamed Esmaeilion, écrivain et dentiste dont la femme et la fille ont péri dans le crash de l’avion ukrainien abattu par des missiles iraniens en janvier 2020,

  • Masih Alinejad, journaliste,

  • Abdullah Mohtadi, secrétaire général du parti Komala dans le Kurdistan iranien,

  • Shirin Ebadi, avocate des droits de l’homme et prix Nobel de la paix,

  • le célèbre footballeur Ali Karimi

  • et les actrices Nazanin Boniadi

  • et Golshifteh Farahani.

Après le décès de Mahsa Amini, les désaccords initiaux ont semblé laisser la place à un front uni derrière le slogan « Femme, vie, liberté ».

Le 10 février, tous ont même partagé une plateforme à l’université Georgetown à Washington et se sont engagés à travailler à la formation d’un front d’opposition commun. Mais l’alliance n’a pas tenu, les dissensions ont ressurgi et la belle entente s’est écroulée.

Hamid, 26 ans, travaille dans la construction. Originaire d’un village du Nord, il est venu à Téhéran chercher du travail. Sur son temps libre, il aime pratiquer la lutte. Pour lui, le changement et l’opposition ne peuvent venir que de l’intérieur de l’Iran. « Beaucoup de mes connaissances admirent ces personnalités en exil. Certains imaginent même Reza Pahlavi comme un futur monarque. Je ne soutiens pas le retour de la monarchie, mais c’est frappant de voir que la répression a réussi à rendre cette hypothèse attirante pour certains », note-t-il.

Sa petite amie, Zahra, 24 ans, qui travaille dans un salon de beauté, n’est pas tout à fait d’accord. Pour elle, le soutien de la diaspora peut apporter un changement.

Si le régime n’a pas bougé, ni même vraiment vacillé, a-t-il pour autant gagné ?

Les événements de l’année passée ont indéniablement laissé une marque indélébile sur l’Iran et sa société. « Il y a un an, lorsqu’une femme refusait de porter le hijab, elle suscitait des réactions de surprise.

Aujourd’hui, ce geste, répété quotidiennement par des milliers de femmes, est accueilli par des encouragements et des sourires du public, en dépit de la répression accrue », remarque Elnaz, 25 ans, étudiante kurde en psychologie. Pour elle, ces actes de résistance quotidiens sont significatifs. « Une année s’est écoulée et nous avons mené plusieurs batailles. Nous en avons gagné certaines et perdu d’autres.

Mais une chose est certaine : quel que soit le temps que prendra cette guerre, c’est nous qui la gagnerons. »

(1) Tous les noms des personnes citées sont des noms d’emprunt par mesure de protection