2023-09-15 Iraniennes et Iraniens de la diaspora, comment le temps s’est arrêté par France Culture/Les pieds sur terre

Préambule

Depuis la mort de Mahsa Amini, Chirinne, Enghareh et Alireza ont tout arrêté pour soutenir ici, en France, le mouvement de révolte iranien « Zan, Zedegi, Azadi » (« Femme, vie, liberté »).

Elles et il racontent cette année de révolte, d’espoirs et de déceptions au micro de Pauline Chanu.

Le temps s’est arrêté pour ces Iraniens et Iraniennes de la diaspora.

Ils et elles ont cessé brutalement toutes leurs activités, posé leur sac et retroussé leur manche. Ils ont informé, soutenu, petitionné, relayé, écrit, parlé, et répété. Elles ont crié très fort très haut, ce que le peuple ne pouvait exprimer que plus bas.

“Tout le monde s’est soulevé et là j’ai compris qu’il était possible de faire quelque chose”

Enghareh a été élevée à Montpellier par deux parents iraniens. Son enfance a été rythmée par les voyages dans leur pays natal. Le dernier remonte à mai 2022, elle en garde un terrible souvenir : “ça a été pire que tout. Ma famille, comme tous les gens avec qui je pouvais parler, avait perdu tout espoir de vivre bien un jour.

En rentrant, j’ai passé 24h au lit à pleurer”.

Le 16 septembre 2022, son père, comme à chaque brèche d’espoir, annonce la fin du régime. Enghareh l’espère sans trop y croire, mais décide de s’engager activement dans le soutien à la révolte déclenchée par la mort de la jeune Mahsa Amini. Les mois qui suivent sont difficiles : “Pendant six mois, clairement, j’ai déprimé, mais en étant très impliquée, très active, en donnant vraiment toute l’énergie que j’avais”. L’inquiétude, la désillusion, l’impuissance, la fatigue de hurler sans avoir l’impression d’être entendue l’usent.

Le suicide de Mohammad Moradi, un Iranien résident à Lyon, en décembre 2022, est un coup de massue : “Je le comprenais, parce que depuis trois mois, à ce moment-là, j’étais engagé et je voyais tous les obstacles qui s’opposaient à nous”.

Sa mère refuse qu’elle flanche au nom de toutes celles qui souffrent en Iran. Elle reprend alors espoir devant les images des femmes dévoilées qui dansent place Azadi à Téhéran : la place de la liberté. Elle s’émerveille et relaie ces centaines de petits gestes héroïques déployés par les militants en Iran : « Tout est interdit mais ils se débrouillent ».

“Je ne pourrai pas retourner en Iran tant que le régime ne sera pas tombé”

Chirinne est avocate.

Depuis Paris, elle collecte les preuves (photos, vidéos, témoignages) des exactions commises par le régime iranien dans le but de traduire les responsables devant la justice internationale et d’aider les familles des victimes à fuir. Aveux forcés, enlèvements, viols, stigmates de la torture : tous les jours, elle consigne minutieusement dans un fichier Excel des dizaines d’images d’atrocités commises sur les manifestants par les autorités iraniennes.

“Pendant un an, j’ai vu ça toute la journée et en fait, on est tellement dans le rush que j’ai même pas percuté que c’était dur”, confie-t-elle, la gorge nouée. “Le risque, c’est de devenir insensible”.

Évoquant le souvenir d’Hadis Najafi, jeune Iranienne abattue par les forces de sécurité, Chirinne constate : « à la logique de la mort, c’est le droit de vivre qu’oppose les manifestants, le droit au bonheur ».

L’avocate le sait : elle ne pourra pas retourner en Iran tant que le régime ne sera pas tombé. Un lourd sacrifice, puisque son père âgé s’y trouve : “s’il lui arrivait quelque chose, je ne pourrai pas être là”, mais “c’est le prix à payer” d’une lutte qu’elle espère victorieuse.

“J’ai quitté l’Iran mais l’Iran ne m’a jamais quitté”

Installé en France depuis 32 ans, Alireza est anéanti par la répression sanglante que subit son peuple.

Moralement et matériellement, il s’est dévoué intégralement à contribuer à leur lutte, à distance, au détriment de toute autre activité : “Je me suis consacré pendant sept mois, matin et soir, à ce mouvement , à l’organisation de manifestations, à regarder sur les chaînes accessibles ce qui se passe en Iran.

On dormait quasiment pas, on restait en réunion avec des amis sur des groupes WhatsApp et Signal jusqu’à 3 ou 4 h du matin” .

Il lui est insupportable de voir des enfants mourir sous les balles, à l’image de Kian Pirfalak , “un gamin de 10 ans” tué dans la région d’Izeh, au sud de l’Iran, où Alireza a passé ses plus beaux étés.

Déçu par la mobilisation de la diaspora iranienne en France, Ali imagine retourner faire la révolution dans son pays natal et retrouver sa famille, qui ne cesse de lui répéter que “pour comprendre ce qu’il se passe en Iran, il faut aller en Iran” .

Alireza y croit : « le vent de la liberté a commencé à souffler sur le pays » .

:Reportage : Pauline Chanu :Réalisation : Emmanuel Geoffroy

NB : Pour protéger les iraniens et iraniennes sur place (les familles des victimes, les personnes en prison, etc.), nous avons dû retirer certaines informations et renoncer à certains témoignages.

Pour aller plus loin

A voir

  • Rise , réalisé par Ariane Gray

A écouter

Baraye

Roosarito

Normal

Merci à Bahar Makooi et Ariane Gray, ainsi qu’à Jean-Pierre Perrin, Aïla Navidi, Hura Mirshekari, Atoosa, Yasmine et Amir.

Musique de fin Baraye par Shervin Hajipour (2023)